Charles Judes, novembre 2024
Dans nos sociétés contemporaines, souvent dominées par une vision marchande du monde, les notions de donner et de recevoir sont réduites à des transactions monétaires, au détriment de leur véritable essence. Ces actes, loin d’être de simples outils d’échange économique, sont les piliers d’une dynamique vivante, incarnant l’équilibre des relations humaines, sociales et écologiques dans de nombreuses cultures ancestrales.
Le don, dans son essence, n’est pas une perte, mais un geste puissant qui tisse des liens et engendre des responsabilités mutuelles. Recevoir, de son côté, n’est pas un acte passif, mais une reconnaissance, une acceptation de l’autre, et une promesse de transmission. Ces pratiques, inscrites dans les cycles naturels et soutenues par des cosmologies animistes, intégraient une compréhension du monde où chaque élément – humain, non-humain, tangible ou spirituel – participait à une danse d’interdépendance.
La permacomptabilité redonne vie à ces valeurs dans un cadre contemporain, fusionnant l’éthique de la permaculture avec la rigueur de la comptabilité. Ce modèle ne se contente pas de mesurer, il réinvente. Il imagine des entreprises comme des entités vivantes, intégrées dans un réseau complexe de relations écologiques, sociales et spirituelles.
Inspirée des cycles naturels, où tout est à la fois don et réception – les feuilles nourrissent la terre, l’eau s’évapore pour revenir en pluie – elle invite à réinterpréter la valeur, non plus comme un simple chiffre figé, mais comme une force évolutive.
Cette approche transcende les modèles économiques conventionnels, ouvrant la voie à une symbiose entre l’humain et son environnement, redéfinissant la richesse comme un flux partagé et régénérateur. Dans ce modèle, donner et recevoir ne s’opposent pas, mais forment une boucle vertueuse où l’économie rejoint l’art, la spiritualité et la science pour réenchanter notre rapport au monde.
La permacomptabilité s’impose ainsi comme une invitation à repenser nos structures économiques et à renouer avec une sagesse ancienne, capable de guider nos entreprises vers un avenir durable et harmonieux.
Donner et Recevoir dans les Écosystèmes
Dans la nature, donner et recevoir ne sont jamais des actions isolées. Elles s’inscrivent dans des processus interdépendants, formant un tissu vivant où chaque élément contribue au bien commun.
Par exemple, un arbre donne son ombre, son oxygène et ses fruits, tout en recevant les nutriments du sol et l’énergie du soleil. Ce dialogue incessant repose sur un équilibre subtil, où chaque être joue un rôle essentiel au maintien de l’ensemble (Descola, 2005).
La permacomptabilité s’empare de cette sagesse pour repenser nos pratiques économiques, en percevant les ressources comme des partenaires vivants, avec lesquels il est impératif de co-créer une prospérité régénérative. Dans ce cadre, donner devient un acte de soin, une offrande consciente au service d’un équilibre global, et un cycle d’abondance partagée.
De même, recevoir n’est pas une appropriation, mais une ouverture à la gratitude. Recevoir, dans cette vision, engage à restituer, à redonner sous une autre forme, contribuant à la continuité du cycle. Ce n’est pas une boucle fermée, mais un flux infini qui relie les individus, les entreprises et les écosystèmes dans une symbiose harmonieuse.
Le Don comme Actif Comptable
En permacomptabilité, le don dépasse la simple notion d’altruisme pour devenir un actif comptable, porteur de valeur mesurable et durable.
Ancré dans une vision systémique et régénérative, il s’incarne dans des gestes qui enrichissent l’écosystème global, qu’il s’agisse de la nature, des communautés humaines ou de l’individu lui-même.
Les dons à la nature
Restaurer les sols appauvris, planter des arbres, ou réduire son empreinte écologique sont des investissements dans le capital vivant, créant les conditions d’une abondance future. Ces actions renforcent la biodiversité et la résilience des écosystèmes, garantissant des ressources durables pour l’activité humaine.
Les dons aux communautés
Partager un savoir, créer des espaces de coopération, ou redistribuer une partie des bénéfices ne sont pas uniquement des actes philanthropiques. Ces gestes renforcent le tissu social et favorisent l’émergence de réseaux solidaires, créant des conditions favorables à l’innovation et à la durabilité économique.
Les dons à soi-même
S’accorder du temps pour cultiver son bien-être et développer sa créativité ne relève pas d’un luxe, mais d’un impératif stratégique. Ces investissements personnels se traduisent par une meilleure santé mentale et physique, une plus grande clarté d’esprit et une capacité accrue à naviguer dans des environnements complexes. Un individu épanoui est plus productif et mieux à même de contribuer positivement à son entourage.
Ces dons génèrent des dividendes à long terme, créant une stabilité économique et sociale qui ne détruit pas, mais qui élève et nourrit. La permacomptabilité intègre ces dimensions, célébrant la régénération, la coopération et l’équilibre. Dans ce modèle, chaque don devient une semence porteuse d’un avenir fertile et harmonieux.
Recevoir sans Accumuler
Recevoir, dans ce modèle, ne se résume pas à accumuler sans fin, comme le montre cette photo, le syndrome de diogène par exemple dévoile un certain trouble du comportement conduisant à des conditions de vie négligées, dans l'indifférence totale du don à soi et du don au monde.
A contrario, chez les Kogis, tout est équilibre et harmonie. Si nous rompons cet équilibre sur la planète, des catastrophes écologiques s'ensuivent, comme des tremblements de terre, des sécheresses, des inondations, des ouragans, etc... Ils craignent, et ils n'ont pas tort, que nous, les petits frères, ne détruisions tout sur la planète. Nos frères aînés pensent qu'il est de leur responsabilité de veiller à l'équilibre de la planète. Lorsque des catastrophes écologiques frappent le monde, les autorités spirituelles effectuent de grandes marches de "Pagamento" (offrandes), dans le but de rétablir l'équilibre et de rendre à la planète ce qui lui a été pris. Vous pouvez regarder la vidéo ci-après tournée par mes soins en Colombie.
Cela devient un processus réfléchi, guidé par la conscience des interconnexions qui lient chaque acteur à un écosystème global. Dans la même lignée, les travaux de Bruno Latour (2021), invitent à réévaluer la place des entreprises et des individus dans le vaste réseau des interactions écologiques et sociales.
Recevoir devient ainsi un acte conscient d’intégration et de responsabilité. Cela implique :
Évaluer ses besoins réels : Consommer uniquement ce qui est nécessaire, en évitant le gaspillage et en optimisant l’utilisation des ressources.
Valoriser les ressources reçues : Chaque ressource doit être utilisée de manière optimale pour produire un impact bénéfique à long terme.
Redistribuer équitablement : Les surplus doivent être partagés avec l’ensemble du réseau, renforçant ainsi la résilience collective.
Recevoir devient un moment clé dans un cycle vertueux, assurant la pérennité et l’épanouissement de toutes les parties prenantes.
L’Équilibre au Service de Tous
La permacomptabilité inaugure une nouvelle conception de la richesse, rétablissant un équilibre vital entre donner et recevoir, entre l’économique, l’écologique et le social.
Elle transcende les bilans financiers classiques pour inclure la régénération des ressources naturelles, la résilience des écosystèmes sociaux, et l’harmonie entre les êtres humains et leur environnement.
Dans ce paradigme, la richesse n’est plus une accumulation de capital matériel, mais un tissu vivant où chaque interaction contribue à la pérennité de l’ensemble.
Comme l’expliquent Capra et Luisi (2014), les systèmes vivants sont des réseaux dynamiques, où chaque élément est interdépendant. Une entreprise ou une communauté prospère lorsqu’elle s’inscrit dans des cycles équilibrés, générateurs de vie.
Conclusion
En somme, donner et recevoir ne sont plus des opposés, mais les deux faces d'une même dynamique, une danse infinie qui nourrit et régénère. Cette réciprocité, au-delà de ses formes économiques traditionnelles, s’ancre dans les cycles de la nature, dans l'harmonie des écosystèmes et dans le respect des autres.
La permacomptabilité, en intégrant ces principes dans les gestions de projets, nous invite à réinventer les règles du jeu, à cultiver un modèle où chaque échange, chaque geste, devient une semence de transformation. Il est temps de repenser la richesse, de replacer l'humain et la nature au cœur de l’économie, et de bâtir un avenir où prospérité rime avec régénération. 🌱
Je résumerai cet article par la citation suivante :
"Le don et la réception ne sont pas des actes isolés, mais les gestes d’une danse subtile d’interdépendance, où chaque échange nourrit et régénère l’ensemble." Charles Judes
Sources
Descola, Philippe (2005). Par-delà nature et culture. Éditions Gallimard.
Mollison, Bill (1988). Permaculture: A Designer's Manual. Tagari Publications.
Mauss, Marcel (1925). Essai sur le don : Forme et raison de l'échange dans les sociétés archaïques. Presses Universitaires de France.
Goleman, Daniel, et al. (2017). Triple Focus: A New Approach to Education. More Than Sound.
Latour, Bruno (2021). Où suis-je ? Leçons du confinement à l’usage des terrestres. La Découverte.
Capra, Fritjof, & Luisi, Pier Luigi (2014). The Systems View of Life: A Unifying Vision. Cambridge University Press.
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